Fabienne Darge, dans Le Monde, nous avait prévenus : « « Un Macbeth sans couleurs au théâtre de l’Odéon » Et d’enfoncer le clou : « une adaptation fade et sans relief ».
La critique de L’Express ne semblait guère plus engageante : « Un Macbeth sans bruit ni fureur »
Et, du reste, ce que nous avions vu des mises en scène de Stéphane Braunschweig, depuis une douzaine d’années, ne nous rassurait qu’à moitié. Parfois le meilleur : son Don Giovanni de 2013 au Théâtre des Champs Elysées, sa découverte de l’auteur norvégien Arne Lygre au théâtre de La Colline … Mais bien souvent le pire : son Idoménée, sa Norma, son Canard sauvage …
Bref nous étions résignés à ne tenir que jusqu’à l’entracte. C’était un dimanche après-midi, nous aurions encore le temps d’aller faire un tour dans un musée.
Premier décor : une sorte de cuisine, ou d’arrière boutique de boucher, tout en carrelage blanc, avec une batterie de longs couteaux et de hachoirs.
Les trois sorcières, accroupies au bord de la rampe, paraissent étrangement bienveillantes : pas les Erynnies de la tradition ni l’incarnation du fatum ou de l’ananké. Des femmes plutôt jeunes, amusantes plus que menaçantes.
Elles ne prophétisent pas. Elles mettent à jour les arcanes de l’inconscient. Elles révèlent les désirs cachés, y compris celui d’être leurré – le rêve secret de l’échec
Apparaît Macbeth. Adama Diop, qui l’incarne, est un beau Noir moustachu, superbement musclé, à la diction impeccable. Peter Brook nous avait déjà offert un Hamlet noir, Adrian Lester, – qui reste à tout jamais un des plus convaincants que nous ayons pu admirer.
Sa diction, disais-je. Les jeunes acteurs français d’aujourd’hui, pour la plupart, ne savent plus articuler. Moi qui ne possède plus de téléviseur, qui n’écoute guère la radio, je ne me suis jamais habitué à la bouillie sonore qui sort de leur bouche. Je saisis un mot sur trois.
Ici même, à l’Odéon – théâtre national – je n’ai pu suivre qu’à grand peine, pour cette raison, l’embrouillamini des Trois sœurs, de Simon Stone, « adaptées de Tchékov ». Je suis un handicapé de la novlangue.
D’emblée, la nouvelle traduction, due à Braunschweig lui-même et à Daniel Loayza, étonne et rassure par sa musicalité, sa rigueur classique. Ici, pas de « va te faire foutre,! » et autres gracieusetés entendues sur d’autres scènes supposées shakespeariennes. Est-ce que les metteurs en scène anglophones se permettent de « moderniser » la langue de Shakespeare sous prétexte de la rendre plus compréhensible, plus familière aux spectateurs d’aujourd’hui ?
Dans un fracas de tonnerre, le décor de carrelage blanc se fracasse et s’ouvre sur un salon de l’Elysée, voire de Versailles, avec son immense fresque représentant – si ma mémoire ne m’égare pas – une femme antique qui se tourne vers nous, sorte d’Hébé, fille d’Héra, l’échanson des dieux.
« Un monument de mauvais goût le plus kitsch », accuse Fabienne Pascaud dans Télérama. « Certains accessoires, ajoute-t-elle sans préciser, frisent la vulgarité et le gore »
Non, non, non !
Ainsi peut s’afficher clairement le double territoire – spatial et psychique – de la tragédie : celui de l’Etat (mais aussi de la représentation, de la fiction, du surmoi) et celui de la psyché, où serpentent le désir, le goût du sang, le ça, bref le refoulé.
C’est alors qu’apparaît Lady Macbeth – Chloé Rejon – mince et brune créature, plutôt fluette, tantôt vêtue d’un robe de lainage à dominos rouges, boutonnée jusqu’au cou (l’image de la respectabilité petite bourgeoise), tantôt cheveux dénoués, épaules nues, dans un déshabillé noir (la luxure, bien sûr ….)
Braunschweig prend ici un parti plutôt révolutionnaire : Macbeth et Lady Macbeth ne sont plus des figures sataniques, travaillées par le Démon, – l’esprit du mal. Mais un couple d’amoureux, équilibré et heureux, que la « prophétie » des sorcières prend par surprise et rend fous.
Il y a, dans cette mise en scène peu conformiste, deux images étrangement troublantes : dans le décor « versaillais », il sont assis l’un et l’autre à deux tables séparées par un espace obscur. Elle, dans sa robe rouge, lui, en costume-cravate noir, chemise blanche, ils se tendent la main par dessus le vide, complices calmes, respectables, sans angoisse ni remords. Dans la « cuisine » ou la « boucherie », elle, en son déshabillé de vamp, lui, torse nu, ils s’appuient tendrement l’un contre l’autre, amants comblés plutôt qu’époux avides de pouvoir.
Ne cherchons pas des poux dans la tête de Chloé Rejon : sa Lady Macbeth est une femme fragile, embarquée dans la galère de son époux et qui tente de lui venir en aide, de lui proposer des solutions au jour le jour. Elle joue à la perfection sa scène du cauchemar : la folie est sa vérité. Ainsi l’a voulue Stéphane Braunschweig.
On peut évidemment contester cette vision dé-construite du couple maudit le plus célèbre de l’histoire du théâtre. J’ai lu quelque part que Braunschweig, normalien et philosophe, était fils et petit fils de psychanalyste.
Ici la psychanalyse tue la métaphysique. La libido, le désir de mort effacent la réflexion sur l’Enfer, sur l’Empire du Mal. Sur la fuite du temps. Sur le Vide..
Je suis devenu indulgent.
Merci à Braunschweig de ne pas avoir fait de Macbeth un fils incestueux (il suffisait de lui inventer une mère …), un amant déçu de Banquo ou de Macduff, un soldat perdu du Sentier lumineux ou des Farc !
Je ne suis pas parti à l’entracte.
« Il faut, écrit aussi Fabienne Darge, dans le même article du Monde, fouiller dans sa mémoire pour retrouver dans les annales récentes un Macbeth vraiment réussi – en l’occurrence celui du metteur en scène britannique Declan Donnellan, présenté au théâtre Les Gémeaux, à Sceaux, en 2010
J’y étais. J’en suis encore ébloui.
Et d’abord le refus de tout décor : un plateau vide, entièrement noir, éclairé parfois d’une lueur fugace, qui permet d’entrapercevoir deux ou trois cabanes en bois, ou des piliers (on ne sait pas très bien …). Les changements de lieu ne sont indiqués que par des jeux de lumière.
Rien : pas un accessoire, les armes sont imaginaires, figurées par un mouvement de la main … Noirs sont aussi les costumes : treillis, maillots près du corps, vestes militaires pour les hommes, robe longue pour Lady M.
Les sorcières restent invisibles : rien que des voix. Eviter à tout prix l’anecdote, le truquage, le spectaculaire.
Pas une trace de sang (Braunschweig en macule tout un mur de sa boucherie).
Macbeth et Lady Macbeth viennent en front de scène s’interroger surleur soif de pouvoir, leur folie macabre, l’impossibilité de revenir en arrière.
Rien n’est éludé : l’omniprésence du Mal, la perte du sens, la perversion du désir …
Je me précipiterai à Sceaux, d’ici un mois, pour découvrir une nouvelle mise en scène de Declan Donnellan, Pericles prince de Tyr.
Shakespeare encore.
Mais en français, avec des acteurs français.